De nombreux chercheurs ont consacré leur carrière à théoriser le développement de l’enfant, résultant aujourd’hui en un important bassin éclectique de littérature sur le sujet.
La présente section résume très brièvement les principales théories développementales, traditionnelles et émergentes.
Débat « nature – nurture »
Alors que certains changements résultent de la maturation physique guidée par notre bagage génétique (nature), d’autres résultent plutôt de l’environnement dans lequel l’enfant évolue et apprend (nurture), des expériences auxquelles il est exposé (Levine & Munsch, 2011).
Pouvant avoir des effets indépendants, associés, additifs ou interactifs, ces forces intrinsèques et extrinsèques produisent conséquemment des variations individuelles, soit une séquence de développement unique pour chaque enfant (Jonhson & Blasco, 1997; McCartney & Philips, 2006).
Les interactions entre gènes et environnement ne sont pas statiques étant donné que l’environnement, l’expression des gènes ainsi que les diverses interactions entre eux évoluent dans le temps. Les preuves scientifiques récentes provenant principalement des études de génétique montrent clairement que les influences génétiques et environnementales opèrent ensemble pour produire de larges variations observables sur le plan du fonctionnement physique et psychologique des enfants (McCartney & Philips, 2006). Il est généralement accepté que le rôle du patrimoine génétique prédomine d’abord dans les premières phases, puis l’environnement et les expériences deviennent cruciales et prendront une place plus importante dans l’expression des comportements (Hadders-Algra, 2010). Rares sont les auteurs qui adhèrent uniquement à un pôle de ce continuum nature – nurture, mais ces concepts influencent chacun à leur manière tant les propositions théoriques que l’interprétation des comportements observés en cours de développement (Levine et al., 1999).
Théories développementales
Les théories développementales visent essentiellement à expliquer les changements observés en cours de développement. Ces théories sont développées pour décrire le plus clairement possible le comportement de l’enfant et fournir des bases à partir desquelles la trajectoire développementale peut être anticipée et interprétée (Mulligan, 2003).
Perspectives développementales traditionnelles
Au cours du dernier siècle, diverses théories concernant le développement de l’enfant ont été proposées. Levine et al. (1999) en ont fait une synthèse dont les grandes lignes sont présentées ci-dessous et ont été enrichies des écrits récents de Case-Smith & O’Brien (2010), Levine & Munsh (2011) et Thies & Travers (2009).
Liste des théories développementales traditionnelles:
(Case-Smith & O’Brien, 2010; Levine & Munsch, 2011; Levine et al., 1999; Thies & Travers, 2009)
1 – Le développement en termes de maturation
Auteur important:
- Gesell
Principaux principes théoriques:
- Le développement s’explique par les changements à travers les âges en termes de manifestations observables.
- L’enfant devient plus sensible et compétent de la même façon qu’il devient plus grand et fort.
Unité structurale: le comportement, le niveau de maturité.
Mécanismes de changement : l’âge, la maturation.
2 – Le développement en termes d’apprentissage
Théories comportementales et socio-cognitives
Auteurs importants:
- Watson
- Skinner
- Pavlov
- Dollard
- Miller
- Bandura
Principaux principes théoriques:
- Le développement a lieu lorsque le comportement d’un individu est renforcé.
- Le caractère et la personnalité de chaque enfant proviennent des façons particulières de se comporter et de penser qui sont déterminées par les exigences des variations environnementales (renforçateurs/punitions).
Unité structurale : l’agrégation des réponses apprises.
Mécanismes de changement : les contingences environnementales (la façon dont l’environnement humain et non humain répond au comportement de l’enfant), notion de conditionnement et de renforcement.
3 – Le développement en termes de résolution de conflits
Théories psychanalytiques
Auteurs importants:
- Freud
- Erikson
Principaux principes théoriques:
- Le développement est le produit de forces inconscientes.
- La recherche du plaisir (désirs) progresse à travers cinq stades psychosexuels à travers les premières années de vie.
- Cette progression amène des conflits critiques entre les impulsions de l’enfant et les exigences de ses parents, qui se résolvent pour la plupart avant l’âge de 6 ans.
Unité structurale : les expériences de désirs et d’interdictions de l’enfant.
Mécanismes de changement : la résolution de conflit personnel
4 – Le développement en termes de changement cognitif
Théorie cognitive
Auteur important:
- Piaget
Principaux principes théoriques:
- Le développement progresse en fonction du perfectionnement des structures cognitives, en adaptation à l’environnement et les expériences vécues.
- La théorie cognitive de Piaget conceptualise le développement de l’enfant selon une série d’étapes ou périodes hiérarchiques : de la construction sensorimotrice du monde jusqu’à une compréhension complètement abstraite de la structure du monde (opérations logiques).
Unité structurale : les opérations (schémas et structures cognitives) permettant à l’enfant de recevoir et d’intégrer les informations environnementales.
Mécanismes de changement : les processus d’assimilation et d’accommodation.
5 – Le développement en termes d’adaptation culturelle
Théorie écologique
Auteurs importants:
- Vygotsky
- Bronfenbrenner
Principaux principes théoriques:
- Le développement se déroule à travers le processus social de la personne (les interactions que l’individu a avec les autres).
- Vygotsky conceptualise le développement comme la conséquence d’un échange entre un adulte et l’enfant dans la zone proximale de développement; la présentation de problèmes par l’adulte amène l’enfant à un niveau développemental plus élevé.
- Bronfenbrenner propose que le développement est influencé par le réseau environnemental en continuelle expansion comprenant quatre systèmes : microsystème, mésosystème, exosystème et macrosystème.
L’unité structurale et les mécanismes de changement ne sont pas explicités pour cette théorie développementale.
6 – Le développement en termes de satisfaction de besoins de base
Théorie humaniste
Auteur important:
- Maslow
Principaux principes théoriques:
- Le développement normal a lieu si les besoins de base sont satisfaits selon un ordre hiérarchique : besoins physiologiques, besoins de sécurité, besoins d’appartenance et affectifs, estime, accomplissement personnel.
- Lorsqu’un besoin de base est satisfait, l’individu a l’énergie et la motivation d’atteindre des buts de haut niveau.
Unité structurale : les besoins de base.
Mécanismes de changement : la satisfaction d’un besoin de base selon l’ordre hiérarchique.
Tendances contemporaines
Parallèlement à ces théories plus anciennes et traditionnelles, les tendances actuelles, quant à elles, tiennent compte d’une vaste variété de facteurs d’influence qui interagissent avec l’enfant pour déterminer son développement. Ces propositions émergentes remettent en question les théories développementales traditionnelles en fonction de l’âge ou des étapes que les ergothérapeutes utilisent depuis plusieurs années. Toutefois, elles sont davantage cohérentes avec certains principes actuellement préconisés en ergothérapie, comme l’importance de l’environnement et de la plasticité neuronale (Kramer & Hinojosa, 2009). Au nombre de ces théories plus récentes se retrouvent, entre autres, la théorie sociobiologique, l’approche organismique, la position métathéorique et la théorie holistic person-context interaction, mais seuls la théorie des systèmes dynamiques et l’apport de l’épigénétique seront approfondis dans le présent module étant donné leur importante contribution à la compréhension actuelle du développement de l’enfant.
La théorie des systèmes dynamiques s’inscrit dans un cadre écologique en proposant que la performance fonctionnelle d’un enfant soit comprise comme le résultat des interactions entre (1) ses habiletés actuelles et émergentes, (2) les caractéristiques de la tâche et (3) l’environnement dans lequel l’activité est réalisée. Ainsi, dans le contexte du développement, plutôt que de percevoir un comportement comme le résultat d’un phénomène neuromaturatif, cette théorie avance qu’une action émerge plutôt des interactions de plusieurs sous-systèmes.
La théorie des systèmes dynamiques s’articule donc autour des principes suivants (Case-Smith & O’Brien, 2010) :
- L’apprentissage de nouvelles tâches résulte de l’interaction entre différents systèmes (par exemple, les perceptions de l’enfant guident ses mouvements qui, à leur tour, créent la perception du monde de l’enfant).
- Un changement dans un des paramètres de la tâche à accomplir ou dans le contexte de réalisation peut donner lieu à l’émergence de nouvelles habiletés.
- L’apprentissage de chaque habileté implique les phases d’exploration, de sélection et de pratique : l’enfant explore tout d’abord différentes façons de faire une tâche en démontrant une grande variabilité dans l’exécution. Ensuite, il sélectionne le patron optimal pour atteindre son but, le pratique et devient plus flexible à une variété de demandes environnementales (atteinte d’une « zone de confort »).
- Le caractère unique des patrons utilisés par un enfant pour réaliser un mouvement ou une tâche est le résultat de plusieurs systèmes qui interagissent de façon dynamique pour faciliter ou contraindre l’apprentissage des différentes habiletés. Ces éléments sont intégrés au fil du temps pour former une trajectoire développementale unique pour l’enfant.
Selon la théorie des systèmes dynamiques, l’apprentissage de chaque habileté sera caractérisé par un changement critique (appelé « transition ») survenant au niveau de n’importe quelle composante contribuant à la réalisation de la tâche. En effet, le développement de l’enfant est conceptualisé comme une série d’évènements durant lesquels des degrés de variabilité dans l’exécution (déstabilisation et stabilisation) prennent place avant que la phase transitionnelle devienne stable et fonctionnelle. De cette façon, l’identification des variables des systèmes qui favorisent la transition d’un niveau à un autre favorise le développement de l’enfant (Case-Smith & O’Brien, 2010).
L’apport de l’épigénétique
De la conception à l’entrée scolaire, le cerveau s’organise rapidement et est le siège de mécanismes neurologiques primordiaux pour la bonne maturation cérébrale de l’enfant. En effet, cette période crée une fenêtre d’opportunités durant laquelle les expériences négatives peuvent exercer des effets à long terme sur les plans physiologique et neurobiologique du développement de l’enfant. Qui plus est, il est maintenant démontré que le stress maternel prénatal, les situations d’abus et de négligence ainsi que la qualité et la quantité des interactions mère-enfant pourraient induire un changement moléculaire chez les enfants, altérant de ce fait les patrons d’expression des gènes présents dans certaines régions cérébrales. Ces effets dits «épigénétiques» indiquent donc que la qualité de l’environnement d’un enfant peut modifier l’activité des gènes, voire la configuration de certaines de leurs composantes, illustrant ainsi l’importance de l’interaction dynamique entre les gènes (nature) et l’environnement (nurture) dans le développement de l’enfant (Braun, 2011; Gudsnuk & Champagne, 2011).
Plus précisément, les mécanismes capables d’altérer l’expression des gènes sans altérer les séquences nucléotidiques sont appelés épigénétiques (au-dessus de la génétique). Les mécanismes épigénétiques concernent typiquement des changements moléculaires à l’ADN ou aux protéines environnantes auxquelles l’ADN est solidement enroulé. Selon Gudsnuk et Champagne (2011), deux principaux mécanismes épigénétiques ont été identifiés : les modifications post-translationnelles des protéines histones et la méthylation de l’ADN. L’activation de ces mécanismes épigénétiques étant essentielle pour le bon développement de l’enfant, une perturbation au niveau enzymatique par des facteurs environnementaux, en interférant avec les mécanismes épigénétiques, pourrait avoir des conséquences néfastes sur les trajectoires développementales de l’enfant (voir figure 1).
Figure 1. Les effets d’expériences périnatales négatives sur les mécanismes épigénétiques essentiels au développement de l’enfant, tiré et adapté de Gudsnuk & Champagne (2011).
De surcroît, certains auteurs ont souligné les potentielles transmissions de ces effets d’une génération à l’autre; les conséquences des expériences négatives périnatales ne seraient donc pas seulement limitées à l’individu les ayant vécues, mais pourraient s’étendre à ses descendants même s’ils n’y ont pas été exposés directement (Gudsnuk & Champagne, 2011).
Étant donné la prépondérance des recherches menées auprès de rongeurs dans le domaine de l’épigénétique, la généralisation au développement humain demeure à démontrer.
Prochaine section: Les grands principes du développement humain