Ce module a été conçu par:
Camille Ricard, étudiante à la maîtrise professionnelle en ergothérapie.
Julie Gosselin, professeur titulaire en ergothérapie à l’Université de Montréal.
Les problèmes de développement affecteraient jusqu’à 18% des enfants de 0 à 18 ans; cette statistique augmente à 22% si les problèmes émotionnels et comportementaux sont également considérés (Glascoe, 2005). Malgré cette forte prévalence, des notions essentielles à la bonne compréhension des problèmes de développement sont souvent interprétées de façon différente selon la discipline des professionnels (Accardo, Accardo & Capute, 2008; Shevell, 2010). Par exemple, des termes comme problème de développement et trouble de développement sont souvent confondus alors que ceux-ci font pourtant référence à deux entités distinctes dans la littérature actuelle. Une telle confusion restreint grandement l’utilisation uniforme et cohérente de ces notions.
Cette confusion est alimentée par la présence de nombreuses classifications des troubles de développement qui sont parfois différentes. En effet, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-V), la Classification internationale des maladies (CIM-10) et la Classification diagnostique 0-3 ans n’utilisent pas toujours la même nomenclature pour référer aux mêmes troubles de développement et proposent différents regroupements de symptômes. L’existence de deux principales écoles de pensée partageant plusieurs similitudes, mais aussi présentant des points de divergence dans le domaine de la pédiatrie du développement contribue également à cette confusion. En fait, ces deux écoles réfèrent à celle du « neurodevelopmental pediatrics » dont l’un des principaux instigateurs a été Arnold Capute (Accardo et al, 2008) et « developmental-behavioral pediatrics » qui a largement été défendue par Melvin Levine (Levine et al, 1999). Finalement, la traduction parfois hasardeuse de l’anglais vers le français de certains termes clés dans le domaine de la pédiatrie du développement peut aussi ajouter à la confusion avec pour conséquence un manque d’uniformité au niveau du vocabulaire utilisé entre les professionnels.
Il est à noter que les classifications diagnostiques demeurent néanmoins essentielles afin de connaître les principaux symptômes associés aux différents troubles. Elles peuvent toutefois profiter de l’enrichissement qu’apporte la compréhension de certains concepts clés, indépendants de ces classifications. De ce fait, l’utilisation d’une perspective complémentaire, intégrant les notions de spectrum et de continuum, peut permettre de mieux comprendre les degrés de sévérité ainsi que les trajectoires les plus habituelles des principaux troubles de développement ainsi que le chevauchement des symptômes entre différents troubles.
Un vocabulaire partagé
Quelques termes méritent d’être définis davantage particulièrement dans un contexte de collaboration interprofessionnelle où plusieurs intervenants interagissent avec l’enfant et sa famille et sont appelés à discuter des problèmes non seulement entre eux, mais aussi avec les proches de l’enfant. L’utilisation d’un langage commun, appuyé sur une conception partagée des problèmes de développement, ne pourra que contribuer à la mise en place d’une prise en charge cohérente et faisant du sens pour la famille et l’entourage.
Problème et trouble de développement
L’expression «problème de développement» peut être considérée comme un terme générique qui englobe à la fois les retards de développement et les troubles de développement. Pour sa part, le retard de développement fait référence à un délai dans l’acquisition des habiletés développementales. L’enfant acquiert les habiletés avec une lenteur significative dans une ou plusieurs sphères de son développement. Toutefois, les acquisitions suivent la séquence développementale habituelle (Accardo, Accardo, & Capute, 2008; Amiel-Tison & Gosselin, 2010). Par exemple, un enfant présentant un retard dans la sphère motrice pourra marcher à 17 mois, mais aura franchi les principales étapes du calendrier moteur préalables à la marche. Le retard est habituellement considéré réversible, c’est donc dire qu’un rattrapage est possible; cette notion est toutefois contestée par certains auteurs du fait d’une meilleure connaissance des périodes critiques. Les causes liées aux retards de développement sont multiples, mais le plus souvent le retard est engendré par un manque de stimulation ou encore une maladie organique perturbant temporairement les apprentissages de l’enfant. Le retard de développement est souvent difficile à diagnostiquer étant donné les grandes variabilités dans le développement typique de tout enfant. En effet, les acquisitions développementales se font à vitesse variable, parfois une période d’acquisition rapide peut être suivie d’une période de consolidation qui prend l’allure d’un plateau (Shevell, 2010; Tervo, 2009). Il peut alors être difficile de distinguer développement typique et développement atypique, surtout lorsque les retards sont légers. De plus, peu d’outils cliniques standardisés sont disponibles pour les enfants de moins de 6 ans, ce qui complique également le processus diagnostique.
À l’opposé, le «trouble de développement » est caractérisé par une désorganisation de la séquence développementale amenant des perturbations qualitatives et/ou quantitatives dans l’acquisition ou l’expression des habiletés dans les diverses sphères du développement (Accardo, Accardo, & Capute, 2008; Shevell, 2010). Les habiletés développementales, si elles sont acquises par l’enfant, le sont de façon peu prévisible et non séquentielle (Accardo, Accardo, & Capute, 2008). Les troubles de développement prennent leur origine dans la période prénatale, périnatale ou durant le début de l’enfance. Ils sont persistants et habituellement associés à un dysfonctionnement cérébral non-évolutif. Toutefois, la symptomatologie peut changer dans le temps sous l’influence de la maturation cérébrale (Amiel-Tison & Gosselin, 2010). Les impacts fonctionnels sont donc différents au cours du développement. L’évolution est unique pour chaque individu, c’est pourquoi il est très difficile de déterminer le pronostic exact du trouble du développement (Accardo, Accardo, & Capute, 2008).
Enfin, le «retard global de développement» (RGD) doit être distingué du simple retard de développement. En fait, le RGD constitue un diagnostic d’attente habituellement émis avant l’âge de 5 ans lorsque l’enfant présente des retards significatifs (2 écarts types sous la moyenne) dans au moins deux sphères de son développement (Amiel-Tison & Gosselin, 2010; Shevell, Majnemer, Platt, Webster & Birnbaum, 2005). Le pronostic du RGD est souvent flou; le terme retard suggère qu’une amélioration est possible avec le temps, mais les statistiques démontrent que ce n’est pas toujours le cas (Shevell, 2010). Dans un contexte clinique, il est important d’expliquer ceci aux parents. Il est à noter que beaucoup de confusion existe autour du RGD puisqu’il peut se présenter sous différents profils de fonctionnement atypiques et peut être d’étiologie variable (Riou, Ghosh, Francoeur, & Shevell, 2009; Wiliams, 2010).
Dissociation et déviance
Le trouble de développement peut s’exprimer sous deux principales formes, soit la dissociation et la déviance (Accardo, Accardo, & Capute, 2008).
Une dissociation est présente lorsqu’une différence est notée entre deux sphères du développement dont l’une est significativement plus en décalage par rapport à l’autre (Accardo, Accardo, & Capute, 2008; Voigt, 2011). Par exemple, les enfants ayant un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) présentent souvent une dissociation entre leurs habiletés cognitives et socio-comportementales (Voigt, Barbaresi, Colligan, Weaver, & Katusic, 2006). De la même façon, un enfant ayant la paralysie cérébrale peut présenter un écart important entre sa motricité et ses autres sphères de développement (Amiel-Tison & Gosselin, 2010).
La déviance, quant à elle, est présente lorsque l’acquisition des habiletés développementales se fait de façon non-séquentielle dans une même sphère du développement (Voigt, 2011). Le trouble dans le spectre de l’autisme (TSA) s’apparente généralement à une déviance. Par exemple, un enfant autiste peut avoir un riche répertoire de mots, dans les limites normales pour son âge, mais faire encore beaucoup d’écholalie et avoir un niveau de compréhension très restreint.
Il est important de bien reconnaitre ces différents profils puisqu’ils reflètent un dysfonctionnement du système nerveux central (Voigt, Barbaresi, Colligan, Weaver, & Katusic, 2006) et devraient orienter la nature de la prise en charge.
Le tableau suivant dresse un portrait comparatif du retard, de la dissociation et de la déviance.
Tableau 1 Caractéristiques des trois principaux profils de problèmes du développement selon Accardo, Accardo & Capute (2008)
Retard | Dissociation | Déviance | |
Principales caractéristiques | Retard significatif par rapport à la norme se traduisant par une lenteur dans l’acquisition des habiletés développementales | Inégalité entre deux sphères du développement (ou plus) dont l’une est significativement plus en retard que l’autre | Acquisition non-séquentielle des habiletés au sein d’une sphère du développement |
Acquisition des habiletés développementales | Suit la séquence développementale | Désorganisation de la séquence développementale | Désorganisation de la séquence développementale |
Pronostic et évolution | S’atténue ou disparaît | Évolution hétérogène, majoritairement permanent | Évolution hétérogène, majoritairement permanent |
Trajectoires développementales : émergence de certains profils typiques
Selon la forme du trouble de développement, il est possible de mettre en lumière diverses trajectoires développementales illustrées à la figure 1.
Figure 1 : Trajectoires développementales, tiré et adapté de Tervo (2009).
La reconnaissance de différentes trajectoires développementales permet de rejeter l’hypothèse stipulant que les troubles développementaux sont statiques et prédéfinis et propose plutôt que ceux-ci émergent progressivement et se transforment avec l’âge (Thomas, Annaz, Ansari, Scerif, Jarrold & Karmiloff-Smith, 2009). Il est important de souligner que ces trajectoires ne sont pas le simple reflet d’une maturation cérébrale sous-jacente, mais aussi la conséquence de stratégies d’adaptation acquises par l’enfant pour pallier ses difficultés. Les composantes sociales, culturelles, familiales ainsi que le soutien environnemental influencent grandement l’émergence de ces stratégies d’adaptation (Accardo, Accardo & Capute, 2008; Resch, 2008).
Selon chaque trouble de développement, l’expression des symptômes peut évoluer de façon différente. Par exemple, un enfant d’âge scolaire présentant un TDAH aura probablement eu des problèmes de comportement durant ses premières années de vie tels des pleurs excessifs, de l’irritabilité, de l’agitation motrice, des troubles du sommeil, etc. Avec l’âge, ces symptômes peuvent se transformer en difficultés attentionnelles et/ou en hyperactivité pour, par la suite, se traduire par des problèmes de conduite (Accardo, Accardo & Capute, 2008). Cet exemple illustre comment l’expression des symptômes peut se transformer au cours du développement et explique pourquoi certains troubles sont détectés plus tardivement que d’autres.
Spectrum et continuum : pour une meilleure compréhension des troubles du développement
Pour leur part, les notions de spectrum et de continuum permettent de mieux comprendre les entités diagnostiques, les comorbidités et le chevauchement des symptômes (Voigt, 2011). Une meilleure compréhension de ces deux entités permet d’enrichir le raisonnement clinique des professionnels et devrait contribuer à améliorer la prise en charge de l’enfant et de sa famille (Blondis, Roizen, Snow & Accardo, 1993).
Le spectrum permet de statuer sur le niveau de sévérité des atteintes dans une sphère du développement (Accardo, Accardo & Capute, 2008; Amiel-Tison & Gosselin, 2010; Voigt, 2011). Pour sa part, le continuum fait référence à l’agencement d’un trouble prédominant dans une sphère spécifique de développement avec des déficiences associées dans les autres sphères (Voigt, 2011). Ces dernières sont souvent dites secondaires puisqu’elles affectent le fonctionnement de l’enfant, mais de façon moins marquée que le trouble primaire (Accardo, Accardo, & Capute, 2008). Selon Amiel-Tison et Gosselin (2010), les déficiences associées sont plutôt la règle que l’exception chez les enfants étant donné que les dysfonctions cérébrales affectent rarement une seule région cérébrale et surviennent dans un cerveau en plein développement. Par exemple, un enfant paralytique cérébral a des risques importants de présenter, en plus de son atteinte motrice qui apparaît au premier plan, des difficultés langagières ou cognitives qui sont moins envahissantes, du moins en bas âge. Il est à noter que le diagnostic principal est souvent un bon indicateur des déficiences associées (Accardo, Accardo, & Capute, 2008).
Pour faciliter la compréhension, Accardo, Accardo et Capute (2008) ont initialement regroupé les fonctions cérébrales en trois principales composantes: motrices, cognitives et langagières (voir figure 2). De l’intégration de ces fonctions résultent les capacités socio-adaptatives. Celles-ci font référence au fonctionnement de l’enfant dans l’ensemble de ses occupations.
Figure 2 : Les trois principales sphères du développement selon Accardo, Accardo et Capute (2008)
Plus récemment, Voigt (2011) a proposé une conception empruntée davantage à la pédiatrie développementale-comportementale (« developmental-behavioral pediatrics ») en identifiant trois composantes: motrice, socio-comportementale et cognitive, cette dernière se subdivisant en composantes verbales et non verbales à l’image des tests cognitifs actuels (voir figure 3).
Figure 3 : Les trois principales sphères du développement selon Voigt (2011)
Les deux approches sont défendables d’un point de vue conceptuel. Toutefois, considérant que la petite enfance est davantage ciblée, le modèle d’Accardo, Accardo et Capute est plus applicable puisqu’à l’instar des principaux tests de développement, il distingue le langage des capacités cognitives, ces dernières étant moins bien différenciées en bas âge. Néanmoins, il est fort pertinent de considérer un spectrum socio-comportemental, puisqu’il permet d’anticiper dès la petite enfance, les troubles qui sont davantage de l’ordre des troubles des conduites, ceux-ci étant le plus souvent diagnostiqués à l’âge scolaire. C’est pourquoi l’ensemble de ces sphères sera considéré dans le présent module (voir figure 4).
Figure 4 : Les sphères du développement considérées dans ce module (adaptation de l’approche d’Accardo, Accardo et Capute et de Voigt)
Notion de sévérité : spectrum
Tel que mentionné précédemment, le spectrum réfère à une échelle de sévérité permettant de qualifier le trouble primaire, soit de léger à modéré à sévère. Les troubles les plus sévères sont de faible prévalence et peuvent habituellement être identifiés précocement de par l’évidence des signes qui leur sont associés (Accardo, Accardo & Capute, 2008; Voigt, 2011). Les troubles mineurs sont pour leur part souvent moins bien définis, mais tout aussi importants puisqu’ils ont une prévalence élevée (Voigt, 2011; Accardo, Accardo & Capute, 2008). L’absence ou encore la méconnaissance de marqueurs précoces de ces derniers troubles contribue au délai dans leur diagnostic. Il est aussi important de comprendre que les troubles mineurs font souvent appel à des fonctions intégratives apparaissant plus tard au cours du développement (Amiel-Tison & Gosselin, 2010).
Le tableau 2 identifie le spectrum de sévérité pour les quatre principales sphères développementales ciblées.
Tableau 2 : Spectrum selon les quatre principales sphères du développement
Bien que considérés de degré mineur, les troubles légers posent de nombreux défis dans leur prise en charge, non seulement du fait qu’ils sont généralement diagnostiqués tardivement, mais aussi de par leur caractère « peu apparent » ou peu visible (Accardo, Accardo, & Capute, 2008). Ce contexte est habituellement difficile pour les parents qui voient leur enfant confronté à des difficultés à l’âge scolaire alors que souvent aucun problème n’avait été détecté en bas âge et qu’ils avaient été le plus souvent rassurés s’ils avaient signifié des inquiétudes. Souvent, les impacts fonctionnels engendrés par les troubles légers auront été sous-estimés ou encore faussement associés à des problèmes de comportement alors que l’enfant présente de réelles difficultés au plan fonctionnel.
Tous ces éléments convergent vers l’importance de prendre en compte les inquiétudes des parents et de rechercher des signes neurologiques mineurs, si mineurs soient-ils, dès la première année de vie (Amiel-Tison et Gosselin, 2010). Dans ce sens, Glascoe (2003) a clairement démontré la valeur prédictive qu’avaient les inquiétudes des parents dans le dépistage des problèmes de développement. À l’interrogatoire aux parents doit s’ajouter la recherche systématique de signes neurologiques qui pourraient constituer un fil conducteur essentiel entre le dysfonctionnement cérébral précoce et les troubles de développement ultérieurs. Dans ce sens, Amiel-Tison et Gosselin (2010) proposent un outil d’évaluation simple et dont la validité prédictive a été documentée dans différentes études auprès de diverses populations à risque. Les signes les plus fréquents sont un déséquilibre du tonus musculaire axial, des anomalies du tonus des membres, une croissance céphalique insuffisante ou encore des signes de spasticité mis en évidence à la mobilisation rapide d’un segment de membre, le plus souvent la dorsiflexion du pied. Les asymétries, même avec des angles dans les limites normales, seront à considérer tout comme une hypotonie sans cause précise.
Comme professionnel, il est important de rester vigilant face à de tels signes qui, si regroupés, aident à anticiper la suite des choses et à accompagner l’enfant et ses parents dans les différentes étapes de son développement. L’absence d’une recherche systématique des signes neurologiques permet d’expliquer en grande partie pourquoi près de la moitié des enfants ayant un trouble de développement sont détectés à l’âge scolaire seulement (Glascoe, 2005; Tervo, 2006).
Continuum : conditions associées et chevauchement des symptômes
Chez l’enfant, les troubles de développement sont habituellement plus diffus que ce qui est observé suite à une lésion cérébrale chez l’adulte. Ainsi, l’atteinte prédominante, telle la déficience motrice dans le cas de la paralysie cérébrale est souvent, voire presque toujours, accompagnée de troubles associés (Voigt, 2011). Cette notion, qui fait référence au continuum, est applicable à tous les troubles du développement.
Ainsi, bien qu’une sphère soit touchée de façon plus importante, l’enfant ayant un trouble de développement peut présenter des difficultés associées dans les autres sphères. Ceci crée de la confusion au niveau du processus diagnostique puisque plusieurs symptômes sont semblables d’un trouble à l’autre (McDonald MCCary, Grefer, Mounts, Robinson, Tonnsen, & Roberts, 2012; Shevell, 2010). Ceci s’explique, entre autres, par l’interdépendance existant entre les sphères du développement (voir figure 5).
Figure 5 : illustration de l’interdépendance entre les sphères du développement
Ces notions sont de plus en plus corroborées par les données scientifiques. En effet, une récente étude rapporte certaines configurations moléculaires comparables pour différents troubles du développement (Geschwind, 2011). Dans ce sens, certaines modifications apportées au DSM-V par rapport à l’édition précédente reconnaissent l’existence de diagnostics mixtes (McDonald MCCary, Grefer, Mounts, Robinson, Tonnsen, & Roberts, 2012). Par exemple, les critères diagnostiques du trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) n’excluent pas les enfants présentant un trouble dans le spectre de l’autisme (TSA), car les symptômes se chevauchent de façon significative (American Psychiatric Association, 2013). Cette nouvelle conception permet de fournir un pronostic plus juste et d’offrir une intervention mieux adaptée aux besoins de l’enfant : un enfant présentant un TDAH isolé ne sera pas traité de la même façon qu’un autre présentant un diagnostic mixte avec un trouble d’acquisition de la coordination par exemple. Cependant, Miller, Masse, Shen, Schiariti et Roxborough (2012) soulignent que ce chevauchement des symptômes entre les différents troubles de développement rend la démarche diagnostique plus complexe de par la diversification et la multiplicité des profils de fonctionnement à considérer.
Dans les milieux cliniques, il est possible de constater que le trouble prédominant oriente souvent la nature de la prise en charge au détriment des conditions associées. Toutefois, pour Accardo, Accardo et Capute (2008), ces dernières doivent également être prises en considération puisqu’elles perturbent très souvent de façon significative le fonctionnement de l’enfant. Cette notion est extrêmement importante, et ce, particulièrement pour l’ergothérapeute, car elle justifie l’importance de considérer l’enfant dans sa globalité, de façon holistique. Par exemple, chez un enfant présentant un diagnostic de paralysie cérébrale, les troubles moteurs sont rarement l’aspect le plus limitant. Les atteintes secondaires comme la déficience intellectuelle, les troubles du langage et d’apprentissage sont souvent plus contraignantes au quotidien et peuvent diminuer l’efficacité des interventions.
Place de la sphère sensorielle dans les troubles du développement
La conceptualisation des troubles de développement, tenant compte du spectrum et du continuum, apparaît incomplète dans sa forme actuelle du fait qu’elle ignore la composante sensorielle. Or, les écrits contemporains reconnaissent de plus en plus la présence de troubles du traitement de l’information sensorielle (Sensory processing disorder). Dans son édition la plus récente parue en 2013, le DSM-V reconnaît qu’une grande proportion des enfants ayant un trouble dans le spectre de l’autisme (TSA) présente des particularités sensorielles et reconnaît également que certains troubles alimentaires chez l’enfant sont d’origine sensorielle (American Psychiatric Association, 2013). De plus, bon nombre de professionnels adressent le trouble du traitement de l’information sensorielle dans leur processus clinique. Cependant, le débat demeure ouvert quant à la notion d’entité distincte à intégrer dans les classifications diagnostiques actuelles.
Ainsi, plusieurs questions persistent quant à la place que doit prendre la sphère sensorielle dans la conceptualisation des troubles du développement présentée dans ce module. Doit-elle être considérée comme une cinquième composante (voir figure 6) ou plutôt être en trame de fond et ainsi influencer l’ensemble des quatre composantes actuelles (voir figure 7) ? Une chose est certaine, la composante sensorielle influence directement les comportements de l’enfant et devrait donc être prise en compte dans l’analyse des troubles de développement.
Figure 6 : La sphère sensorielle comme cinquième composante
Figure 7 : La sphère sensorielle comme trame de fond aux quatre composantes présentées
Conclusion
À première vue, la conceptualisation présentée dans ce module peut sembler superflue lorsque le clinicien ou le parent est face à un enfant avec un trouble de développement perturbant significativement son fonctionnement et limitant sa participation sociale. Dans une telle situation, l’urgence est souvent dans l’établissement d’un diagnostic donnant habituellement droit ou accès à certains services spécifiques d’adaptation, de réadaptation et d’éducation spécialisée. Pourtant, la présente conception des troubles de développement, largement empruntée à l’école de Capute, permet d’apporter des nuances en considérant différents troubles de développement sur un même spectrum tels le TAC et la paralysie cérébrale. Elle permet également de reconnaître que certains signes peuvent être communs à plusieurs entités diagnostiques. Finalement, elle rappelle la transformation des signes et symptômes sous l’influence de la maturation cérébrale et la nécessité de suivre l’enfant et sa famille pas-à-pas pour s’ajuster continuellement à leurs besoins changeants. Ainsi, cette conceptualisation gagne à être connue et utilisée dans les divers milieux cliniques afin de permettre aux professionnels d’avoir une vision plus globale de la situation de l’enfant et de sa famille.
Références
Les références annotées d’un astérisque sont les principales sources à consulter si vous désirez en savoir plus sur le sujet :
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